Voici donc le texte de Vanessa, en parallèle à La vie trépidante de Trys écrit par mon personnage central. Je l'ai légèrement corrigé et l'ai ponctué d'une question afin d'en faire un petit cadavre exquis pour les plus courageux. N'hésitez pas à le continuer et à commenter. be_be_doigt.jpg

Le déguisement

Il y a deux ans de cela, j’avais un ami s’appelant Jean-Luc Léryche. Il venait d’une famille aisée et c’était un personnage comme on en croise souvent dans les soirées avec leurs pulls en impala et leurs souliers vernis. De ceux qui sont insatiables d’expériences particulières et ne se lassent jamais d’entendre les autres conter leurs histoires de vie. Sa tête gentille et son accessibilité permanente en faisaient une personne ouverte sur le monde cela étant, il ne pouvait se défaire de sa condition première d’enfant unique allaité par la facilité. Personnellement, j’adorais ses manières héritées. Sa galanterie naturelle, sa politesse, son vocabulaire soutenu et sa gestuelle bourgeoise m'enchantaient. Avec son corps frêle et ses habits soignés se dégageait de lui un sentiment d’innocence studieuse.

Le 22 janvier 1999, une de nos amies communes organisa chez elle une soirée costumée sans thématique précise et à laquelle je me rendis déguisée en femme des années folles comme Sarah Bernard ou Joséphine Baker. De cette époque où les hommes durent abandonner leurs familles pour aller à la guerre ce qui donna aux femmes une marge de manœuvre imposée leur permettant, malgré la dureté de leur condition, de s’émanciper un peu. Je portais une robe de l’époque bleu pastel décolletée à l’arrière jusqu’en bas du dos qui me donnait, de face, une silhouette légèrement masculine et j’avais enfilé des chaussures à talons assorties à cette dernière. Pour compléter le tout, je m’étais gominée les cheveux, qui étaient courts à cette époque, de sorte qu’ils étaient plaqués sur ma tête vers la gauche, et je les avais recouvert d’un léger et fin bandeau dans le même bleue que ma robe. Dans le style de l’époque, j'y avais ajouté une fleur blanche en tissus sur le côté gauche. Détail de l’ensemble indispensable, j’avais avec moi un porte-cigarette blanc tout en longueur et autour de mon cou reposaient deux longs colliers de perles. Un de perles blanches et l’autre de perles noires, authentiquement fausses évidemment. Là-bas, je retrouvais Jean-Luc et fut surprise de voir qu'il était entièrement habillé d’un survêtement Lacoste jaune vif, avec une casquette noire de la même marque et des baskets Nike de la collection appelée populairement « Requin », toute noires. Il était totalement méconnaissable. Après quelques phrases de bonjour, il m’avait confié avoir tout acheté dans la journée avec ses parents. Il y en avait pour pas moins de trois milles francs de vêtements rien que pour un déguisement. Dans cette tenue, il dépareillait complètement avec son style habituel. D’autant qu’il jouait totalement son rôle en essayant de prendre une démarche chaloupée qui s’avérait plus comique que convaincante.

Pour la soirée, Jean-Luc avait aussi ramené un gramme de cocaïne dont il était un consommateur régulier. Elle lui assurait une confiance lui manquant cruellement au naturel et, tristement, il avait pris la sale manie d’y revenir un peu trop souvent. Peu à peu et de manière pernicieuse, son naturel s’effaçait au profit de cette fausse personnalité. Pendant la soirée, il ne consomma pas tout, bien évidemment, et partagea avec des amis comme il avait l’habitude de le faire. Seulement, arrivé en fin de soirée, il lui en restait environ la moitié et il ne voulait pas repartir avec. Petit interlude, il me faut préciser que Jean-Luc est directement calqué sur un personnage de fiction qu’aurait interprété Jean-Pierre Richard. Il n’était pas malchanceux, il était la malchance personnifiée. Par exemple, s’il portait sur lui quelque chose qui avait une importance alors il était irrémédiablement amené à la perdre. Et c’est ce qui arriva ce soir-là avec la banane Lacoste en cuir noir qu’il s’était aussi achetée pour l’occasion. Elle contenait son portefeuille avec tous ses papiers ainsi que toutes ses clefs, dont celles de sa voiture.

C’est vers cinq heures du matin que Jean-Luc décolle le dernier de chez notre amie. Il est dans un sale état et a presque peine à marcher droit. Et il lui reste les deux kilomètres qui le séparent de chez ses parents à parcourir. Pour rentrer chez lui, il doit passer par le quart sud-ouest de la ville qui est celle où est située la cité des Vallées grises. Jean-Luc appréhende mal l’idée de le faire d’habitude. Mais, ce soir il a pris un demi-gramme de cocaïne pour ne pas en transporter avec lui et risquer de passer la soirée en cellule. Il se sent la force au poing et la motivation indéfectible. Ses quarante kilos de muscles sont bandés et prêts à affronter cette épopée. Maintenant qu’il en est à sa troisième et dernière prise de cocaïne et que les effets de ses excès d’alcool se dissipent devant la vitalité que procurent trois bonnes lignes bien épaisses, il se sent infaillible.

Sur le trajet, il marche vite. Il est énergique et convaincu. À cette heure, les rues sont désertes si bien que pendant un bon tiers du chemin il ne croise personne. Puis arrive un moment où en face de lui, dans la lumière de l’aurore, il aperçoit au loin la silhouette de quelqu’un. En se rapprochant, arrivé à distance suffisante pour pouvoir voir la personne plus distinctement, il se rend compte que c’est un homme de quarante ans environ qui promène un petit chien noir et qui change de trottoir avant d’arriver à son niveau. Peu importe, il continue sa route. Il est toujours dynamique, peut-être même un peu trop. Il fait un peu de tachycardie à cause de la cocaïne. Son cœur bat trop vite pour irriguer un corps de quarante kilos à ne rien casser. Cinq minutes plus tard, il emprunte une rue sur sa droite et s’apprête à croiser une femme âgée qui se trouve sur le même côté de la rue que lui. Mais, en le voyant, cette dernière change, elle aussi, de trottoir. Jean-Luc comprend maintenant que c’est lui qui effraye les gens. Ce sentiment il ne l’a jamais connu avant et il lui procure une espèce d’assurance soudaine à l’évidence soutenue par la cocaïne. Jean-Luc fait peur. Lui et sa silhouette fluette, pratiquement émaciée, arrivent à effrayer ! Le jour se lève pendant qu’un nouvel horizon perce à l’horizon de sa confiance.

Arrivé à la moitié du chemin, il croise un jeune d’une petite vingtaine d’années, des dreadlocks plein la tête, un baggy kaki sale, un sweat à capuche noir avec du vert jaune rouge un peu partout et des chaussures de skateboard énormes. Il fume un joint en marchant tranquillement. Les cernes sous se yeux et sa démarche épuisée sont le signe que lui aussi rentre de soirée. Chose étrange, lui ne change pas de trottoir. Contre toute attente, cette attitude désinvolte et cet aplomb inconsidéré énervent Jean-Luc. Arrivé à sa hauteur, il l’aborde de façon agressive. Il lui demande tout d’abord s’il n’aurait pas une cigarette. L’autre lui en donne une avec un grand sourire. Puis, il lui demande s’il n’aurait pas un joint et des feuilles. Toujours calmement l’autre lui donne d’abord des feuilles puis quand il sort de son caleçon un sachet contenant ce qui semble être de l’herbe, Jean-Luc lui arrache des mains. Le jeune homme stupéfait lui demande alors ce qu’il fait. Jean-Luc s’emballe littéralement: « Quoi ! Qu’est ce qu’il y a ? Ca te pose un problème ? Tu veux oik ? » prononce-t-il en avançant son maigre buste de manière combattive et accompagnée de petits gestes nerveux du bras droit. Ces mots, il les a entendus tellement de fois lui-même, en se faisant taxer des cigarettes par les racailles des Vallées grises, qu’il les interprète de façon convaincante. Du coup, le mec en face n’insiste pas et il ne lui reste plus qu’à regarder Jean-Luc s’éloigner avec son herbe. Herbe qu’il a mise dans son caleçon avant de reprendre sa route. De temps en temps, il se retourne tout de même pour regarder si l’autre ne viendrait pas à la charge pour récupérer son bien. Mais le dreadeux n’insiste pas. Il reste planté un instant dans le bitume matinal en fixant le dos de Jean-Luc avant de reprendre son chemin. « Après tout, je n’avais presque plus rien », pense-t-il pour se convaincre.

Jean-Luc arrive maintenant près des Vallées grises. En se rapprochant, il remarque quatre mecs à l’entrée d’une cage d’escalier, du genre de ceux qui lui taxent tout le temps des cigarettes quand il va voir Cunégonde. Ils sont apparemment en train de fumer. Il fait comme s’il ne les avait pas vu et continu à marcher sans les regarder. Maintenant, son énergie semble s’être évaporée. Les effets diminuants, sa confiance dégonfle à vue de rayon solaire. Sa démarche chaloupée lui échappe, il baisse la tête et accélère le pas. Seuelement, soudain un des mecs l’appelle : « Hé excuse-moi ! » Il se retourne prudemment : « Heu, oui ? ». Jean-Luc voit son assurance filer vers les contours nuageux renaissants et il commence à se sentir nauséeux. L’autre lui demande : « Tu peux venir voir ste plaît ?! ». Jean-Luc se rapproche et appréhende la rencontre. Son cœur bat à deux cents battements seconde et de la sueur commençant à perler abondamment de son front.Lacoste.jpg Arrivé en face d’eux, il se retrouve face à quatre bonshommes, tous plus grands que lui. Leurs yeux sont rouges et brillants, marqués par une nuit de shit et d’alcool. Des canettes emplissent une corbeille en métal vert grillagée accrochée au mur et des mégots jonchent le carrelage, autre fois blanc, du sol. Le plus grand le regarde de haut en bas en respirant bruyamment. Son regard est angoissant, soulevé par un mono sourcil épais ombragé par une casquette. Sa peau est mate, des trous noirs sèment dans ses dents la marque de la précarité et de ses chemins de fuite bon marché. Une minute s’évade, Jean-Luc se décompose. Il est à deux battements cardiaques de pleurer lorsque l’individu patibulaire lui dit: « Excuse-moi, aurais-tu des feuilles par hasard ? » Puis, remarquant les suées de Jean-Luc, derechef il lui demande : « Ca va gars ? T’as pas l’air bien. Tu veux un peu d’eau ? » lui-demande-t-il en lui tendant une bouteille à moitié pleine. Jean-Luc, hausse la main d’un geste défensif, s’apprêtant à se faire taper, mais comprends finalement la situation. Ahuri, il sort de sa poche, d’une main tremblante, deux des trois longues feuilles qu’il a précédemment taxées et lui tend en disant timidement : « Heu, oui tenez. Oui, oui, ça va, merci c’est juste l’alcool. Non merci pour l’eau, c’est...c’est cool ». L’autre reprend alors la parole : « Cimer, tiens pour la route. Bonne journée » lui dit-il en lui tendant une main contenant une petite boulette de shit. Bouche bée Jean-Luc prend la boulette et s’en va après l’avoir remercié timidement. Un peu plus loin, hors de portée de leurs regards, Jean-Luc s’arrête un instant et pousse un long souffle de soulagement en souriant. Son cœur ralenti. Il sort l’herbe qu’il a arrachée au jeune rasta, la grande feuille lui restant ainsi que la cigarette et se met à rouler (ce pour quoi il n’est pas très doué ne fumant que rarement). Une fois le joint prêt, il l’allume et tire une longue inspiration pour se détendre. L’effet recherché est au rendez-vous, mais cela augmente la descente de la cocaïne. Il transpire encore plus et plonge dans un état de fatigue intense. Son poids le submerge et il s’assoit sur un muret en béton bordant toute la cité des Vallées grises alors que derrière lui arrive une voiture de police. Elle fait un tour et vient s’arrêter en face de lui. Trois policiers en sortent avant qu’il n’ait eu le temps de jeter son joint, ce dont il n’a pas eu le réflexe n’ayant jamais été contrôlé de toute sa vie.

Jean-Luc passa les douze heures suivantes en garde à vue à alterner de francs moments d’amitié avec son compagnon de cellule, qui était là pour avoir cassé le nez d’un type parce qu’il ne voulait pas lui prêter sa femme, et ceux de rigolade pendant lesquels on l’interrogeait pour savoir où il avait eu l’herbe. N’ayant pas ses papiers, il ne pouvait prouver son identité ce qui lui aurait épargné cette journée au poste à se faire vomir sur l’épaule par un récidiviste qui ne cessait de lui demander s’il avait une sœur et à se faire questionner sur un fournisseur d’herbe qu’il n’avait pas. Le soir, après plus de vingt-quatre heures sans dormir, Jean-Luc rentre chez lui en se promettant de ne plus jamais se déguiser et en se jurant d’arrêter la cocaïne. Épuisé, il arrive enfin devant chez lui. Il fouille alors sa poche, repense à sa banane perdue et finit par comprendre qu’il n’a aucune des clefs pour rentrer. Ni celle du portail, ni celle de la maison. Entre déconvenue et écœurement, il se rappelle soudain que ses parents sont encore pour deux semaines dans leur maison secondaire en Italie.

Que va devenir Jean-Luc ?