Depuis peu, mon dernier roman est disponible à la vente. Fini début octobre de l’année dernière, j’aurais mis plus de 6 mois pour renvoyer mon contrat et quelques-uns de plus pour le parachever. Mais il est là et c’est ce qui compte au final ! Voici la courte histoire de cette histoire.
Gemäldegalerie Alte Meister, Staatliche Kunstsammlungen Dresden; Foto: Elke Estel/ Hans-Peter Klut
Ce livre, son style, mon écriture, ne sont pas sortis de nulle part. Il m’a fallu travailler et retravailler pour en arriver là (pour ce que ça vaut). À l’origine, j’ai tendance à faire de longues phrases et à user ad nauseam d’adjectifs compliqués et d’adverbes lourds. Ce n’est pas anodin. J’aime notre langue et je souhaiterai qu’elle arrête de se déliter pour des formes de communications appauvries et tout en abrégés faites (aussi bien syntaxiquement que sémantiquement). On triture les mots, on les déforme, on les brutalise, on les oublie pour des formes plus complexes et moins précises. Pourtant, nous avons une langue toute en nuances et très fine. J’essayais de compenser...ou alors, peut-être, que je n’avais pas encore assez d’expérience pour le faire bien. Passons. Ces préoccupations n’ont pas leur place dans une histoire écrite pour autrui. On peut facilement se comprendre en se relisant, pour les autres ce n’est pas si évident.
J’ai donc fait des sacrifices et appris à composer avec moi (expression ne m’appartenant pas, même si j’aurais aimé ^^). Cette nouvelle forme mêlant ma volonté et l’envie d’écrire pour l’autre s’exprime dans ce roman. J’espère persévérer dans cette voie avec les prochains. Sans m’y perdre...

En plus de ces considérations stylistiques, d’autres sont intervenues dans le processus, de l’édition cette fois. Il faut savoir que j’ai pris en charge tout l’aspect éditorial exception faite de la mise en page de la couverture et de la quatrième de couverture. Avec l’aide de plusieurs « pré-lecteurs » avisés (merci encore !), j’ai corrigé mon texte cinq fois et fait toute la mise en page interne.
Pour ce qui est des finances, je dois vendre 500 exemplaires avant de percevoir quoi que ce soit. Et ce quoi que ce soit sera équivalent à 4% du prix du livre, 6% si par miracle j’en vends plus de 1000. Cela n’inclut pas la plus grande richesse, le temps. Après le printemps de l’écriture, l’été des corrections, voici venu l’automne de la promo (espérons zapper l’hiver de l’oubli). N’étant en rien commercial cela me rebute un peu. Seulement, il faut bien essayer, ne serait-ce que pour me dire que je l’ai fait. Alors, je passe de librairie en librairie, distribue des exemplaires gratuits et envoie les autres à des vecteurs médiatiques. Chaque exemplaire me coûtant approximativement 16 euros, les frais d’expédition dépassant les 4 euros, je vous laisse imaginer le coût de cette étape pour des garanties nulles. C’est le jeu éditorial tel qu’il est réglé ! Le créateur est le moins bien logé. Époque d’intermédiaires et d’investisseurs. Voici comment le réel est flouté. Avec trois romans à mon actif, j’ai déboursé un bon millier d’euros et n’ai encore rien gagné...

alexandre_diogene.jpgDans les remerciements, j’ai oublié de citer les deux références les plus importantes pour moi lors de la préparation de mon histoire. Je vais me rattraper. La plus fondamentale fut « Les naufragés » de Patrick Declerck. Livre documentaire unique pour un homme visiblement (adverbe incontournable ^^) investi et honnête. Son regard ne s’empèse jamais de pitié ou d’indulgence superfétatoire. Il est véritable. Et c’est pour cela que ce n’est pas un ouvrage pour tout le monde. Plusieurs éléments m’ont été vraiment utiles. Je m’en suis servi pour quelques moments clefs et pour établir la personnalité de certain protagonistes. L’ouvrage de Mr Declerck m’a apporté une vue sur ce monde parallèle à celui du commun galopant dans les rues en toute sécurité. Il m’a aidé à prendre du recul sur l’objet de mon intention en m’ouvrant à toute la profondeur et toute la dimension de cette situation particulière de marginalisation. Grâce à ce livre, j’ai compris que si je faisais un roman fiction, personne n’aurait envie de le lire. Pour la même raison qui nous fait détourner le regard dans la rue... Mais ma volonté première ne changeait pas, bien au contraire. J’ai donc opté pour quelque chose de plus romanesque, de l’ordre de la fable. Les écueils d’un misérabilisme déplacé pouvaient ainsi plus facilement être évités. Dévié par les situations, l’humour et les relations entre les personnages.
Les acteurs y sont donc bien fictifs et les situations souvent moins difficiles que dans le réel. J’ai opté pour une histoire plus humaine si l’on se plie à la vue générale, devenue norme de pensée, des fictions habituelles. Plus humaine que la réalité. Parfois pour éclairer le réel rien ne vaut une belle histoire.

Mon second appui a été Michel Onfray (un clin d’œil lui est d’ailleurs clairement fait dans le roman). Son œuvre philosophique m’a ouvert au monde des philosophes antiques, à Diogène de Sinope notamment. Et c’est à partir de ce personnage que s’est bâtie mon envie d’écrire le roman. La première pierre lui est due. Au-delà de Diogène, Mr Onfray m’a réconcilié avec le monde philosophique et avec l’humain plus globalement. Je suis souvent peiné de voir ce que l’on peut faire de notre intelligence, au combien le social est biaisé par des gloutons coude-à-coude autour d’une table débordante des victuailles de l’abus, comment le plus idiot peut être aussi le mieux adapté à ce monde d’hommes, pourquoi les politiques sont inutiles et pourquoi continue-t-on vers le pire alors que le mieux est à portée de neurones...lire ses livres m’a tout bonnement rassuré.
Un philosophe contemporain est une chose assez extraordinaire pour apprécier l'homme du social dégoulinant hors de nos écrans. De plus, dans « La politique du rebelle » (je crois) il m’a rappelé ce que j’ignorais sur l’homme exclu. Il m’a ouvert à l’idée que le clochard ne porte pas ce nom pour rien. Le clochard c’est le claudicant, le boiteux, le corps cassé, le rouage brisé devenu inutilisable dans la mécanique sociale, l’inapte à l’incorporation. Ce n’est pas juste une abréviation en trois lettres dénaturant toute la facette inopportune de la figure congédiable. Avec le S.D.F, on oublie l'homme rejeté au profit du mal loti. Une forme de déculpabilisation sous un cachet de bienséance composée de moraline... Je préfère le clochard!
Depuis le germe jusqu'à la plante, mes lectures ont modifié mon intention de base. Moi qui voulais créer un Diogène moderne, je me suis tourné vers le clochard comme modèle et le clochard m’a embarqué avec lui. Loin de Diogène, j’ai commencé tout autre chose. Mes volontés avaient changé de véhicule mais non de but. Pour mettre au jour ces nouveaux vouloirs avec respect, il me fallait aller vers le plus subtile et le plus simple. Et voici L’Auge des chimères.

Vous m’excuserez la tournure grandiloquente de cette dernière phrase, un délire ^^