Pour ce deuxième texte, des amis m'ont proposé d'écrire un petit truc pour un fanzine intitulé Trépan (comme l'outil de trépanation donc). En entendant le nom du fanzine, le titre du numéro (Bourrage de crâne) et connaissant "l'acidité" de certains des participants (tous des artistes aux dons et aux formats variés), je me suis dit qu'il allait falloir y aller. Autrement dit, j'ai fait un texte rentre-dedans. Trepan_1.gif

Voici le résultat:

L’actualité, les actualités, c’est quoi ?

À l’heure dominante des médias, l’actualité est devenue synonyme de l’information. On la veut véridique, objective et dépouillée. Or, ses qualités ne peuvent être sans une complétude absolue des données à l’instant précis du fait observé. Sans cela, le sujet énoncé reste subjectif, soumis à l’axe d’un regard. Porter l’ « actualité » jusqu’aux yeux des absents est un acte condamné à cette subjectivité de l’unicité. Celle du porteur et, bien évidemment, celle du diffuseur passant sa commande. Les têtes de nos objectifs s’inclinent dans la même direction, au même instant. On dirige les flux. On cherche la caution. On impose le regard. Les médias n’étant pas totalement libres d’accès, ils ont un prix, l’économie sous-tend tout ce petit univers et de la pure transmission informative on fait un marché. On y achète ce qu’on y vend. Sur nos étales, les informations sont moins fraiches qu’il n’y paraît. Elles ont été choisies, triées selon leur rentabilité potentielle évaluée par l’expérience du commerçant. Le temps passe, des sujets trépassent, les autres se ressassent.
Onéreuse mais rentable, l’actualité est l’atout d’une minorité. Sans quoi, elle serait gratuite et libertaire. (Un peu de décence, ne parlons pas de ces torchons tendus sous le nez de l’esclave matinal alors qu’il essaye de rentrer dans le métro. Zigzaguer entre les tuyauteries pour retrouver son poste à tripalium, avantage de l’homme moderne). Les béotiens à voix n’ont plus d’opinions hors des périodes électorales ou sortis de leurs zones informatives qui restent cloisonnées en cellules par les quatre propriétaires des principales lignes électorales. Quatre marchands triés sur un volet d’argent pour tous ces véhicules informatifs proposés partout comme autant de truismes sur papier. Ceux-là mêmes que l’on voit partout en affiches, que l’on entend en pub, que l’on bouffe en succédané de monde humain et que l’on défèque en faits divers (ou d’hiver si on a la poisse d’être clochard, j’ai choisi mon terme).
Résultats, on est heureux lors des qualifications de l’équipe à la coupe du monde de machin où il faut utiliser sa moelle épinière (Einstein serait ravi). On nous fait peur avec des brèves tordues quand il est utile que l’on croie nos petits conforts d’albâtre, pâles comme la danse d’un éphémère devant une lampe à nue, sont menacés. On nous fait pleurer quand les terres des élus sont trop sèches pour récolter leurs prérogatives inavouables. Tout cela dans un esprit de copinage indécent tendu joyeusement par vos hommes politiques et ces propriétaires cupides. Une belle fraternité génératrice de raccourcis mercantiles et idéiques. On s’en arrange ou pas.Trepan_2_1.gif

Pour ceux qui veulent en prendre conscience, ces marasmes à queues véhiculés par les journaux de tout horizon selon la saison idoine usent par leurs effets en volutes d’idioties récurrentes jasant entre les lippes des congénères. On ne dira rien, tout le monde semble d’accord, on n’oserait pas s’opposer à la raison du nombre.
En attendant, pendant un instant ou un trajet en commun, la majorité démunie est abreuvée d’un sens. Plus tard, après digestion, on se donne le change le temps d’une soirée entre amis et tout le monde reflète avec un sourire ou une mâchoire crispée sa volonté d’être le primus inter pares.
Tout va bien, tout va bien. Ça ne vous fera pas mal et vous vous sentirez bien plus aérés après.

Du côté des vecteurs, on pense à bien. Néanmoins, achetés par des obédiences, leurs textes orientent et c’est un mal. Avec toutes les meilleures intentions du monde. Avec les vouloirs les plus aiguisés des journalistes risquant leurs vies sur le terrain pour partager avec leur monde le factuel des misères humaines. Avec toutes les philanthropies douces de personnalités fortes et volontaires dansant entre deux obus pour le cliché d’un gamin perdant une jambe sous le feu d’une balle tirée par une arme vendue par celui qui achètera les clichés. On ne pourra pas m’enlever le sentiment de lustrer le dos d’un cycle serpentiforme amené à se répéter et que, submergé par ces tonnes de détritus informatifs itératifs, l’homme perd de vue ses nécessités essentielles. Manger, dormir, respirer, boire et quelques plaisirs en bonus pour les plus moins fourbus. Après tout ce bourrage, hélas, on leur préfère les belles images carriéristes, les vilaines menaces terroristes, les politiques activistes ou les frasques siliconées sur papier glacé à kyste. On oublie, on oublie, on oublie, on oublie, on oublie et on se retrouve à fixer de nouveau les horizons arrangeants d’une minorité. L’angoisse guette à la vue de ces panoramas nuageux et on obtient l’attache au bout des fils du marionnettiste.

Les faits ne sont pas neufs. Les actualités comme on les entend n’existent pas. Elles sont juste le fruit de la constante et récurrente avidité humaine. En faire un produit, c’est divertir. Vendre ces méfaits, c’est certes dénoncer et exposer, mais c’est aussi quêter des bénéfices tout en écartant un peu plus ce qui n’est pas dit. Des victimes, il y en a partout. En bas de nos immeubles douillets, dans nos rues comme ailleurs. Les raisons des luttes ne sont peut-être pas les mêmes, mais la souffrance n’est pas pire dans le pays du voisin ou celui du voisin de notre voisin.
La radicalisation religieuse contre la modernité occidentale dilutive de la culture locale, la stratification des êtres pour un pragmatisme social excluant les boiteux...kif-kif.
Chez nous, il n’y a pas de pétrole, c’est vrai. Une majorité mange à sa faim, ne crève pas de froid et possède un miroir pour se maquiller, pas faux. Donc, on oublie les autres et on va reluquer dans les autres pays l’étendue de leur impécuniosité ? Comment peut-on se permettre de préconiser en presse, un terme si souvent accolé à celui de liberté ?!

En somme, à l’heure d’une exclusivité des vecteurs informatifs, on est en droit de penser l’actualité autrement. Peut-être comme un éternel retour à ce qui a déjà été maintes fois été mis en exergue par l’évidente bestialité de la nature humaine. Peut-être comme une focale ponctuelle et orientée sur les radicaux du monde en guerre pour des portions de terre ou du pouvoir. Peut-être comme les étincelles des collisions entre des blocs d’égo durs et noirs comme le porphyre. Peut-être comme un ensemble de données choisies et mises à la loupe pour les têtes creuses s’échinant à servir ceux-là mêmes qui détournent leur attention pour asservir leur volonté. Peut-être comme un lot de sujets triés pour exciter avant une éventuelle remise en question. Un factuel sec soporatif pour l’individu désarmé ou un réel outil pour l’humain afin qu’il apprenne de ses carnages (jusqu’à présent, il reste le cancre du fond de classe tiraillé par la faim et le sommeil) ?

J’aurais aimé échanger avec toi sur ces points, revoir mes jugements et rendre une nouvelle copie. Ça n’arrivera pas désolé. J’ai trop de souci avec les conflits au Moyen-Orient en ce moment, c’est d’actualité.

Pour avancer, De omnibus dubitandum, même de soi.

Drick-C Skiv