Petit, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais « j'sais pas ». C’était vrai, je n’en savais rien. Je ne voulais pas devenir cowboy, astronaute, androïde superhéros ou président du monde comme la plupart de mes camarades. J’avais beau retourner toutes les images qui me plaisaient le plus dans ce panorama de rêve offert à chaque lecture ou visionnage, j’aurais pu me glisser dans toutes les peaux de tous les personnages de toutes mes histoires préférées que ça n’aurait rien donné de plus clair. Ce que je voulais faire de ma petite vie ne collait pas avec les alternatives que les dérives les plus improbables ou les plus réalistes me proposaient. La seule constante entre toutes ces déchéances de mes avenirs possibles était l’incertitude, le non, le bof ou le rien. Les rôles ne me plaisaient pas, le sens des fonctions et du devoir m’échappait.
Ce n’est que vers 14 ans que j’ai commencé à envisager certaines possibilités. Des habits tous délirants, à croire que j’ai toujours préféré vivre en marge de la réalité, m’apparurent comme de bons projets de vie. Rocker star, tueur à gages, basketteur pro, baguenaudeur à temps plein…autant de folies qu’il y avait d’égarement dans mon adolescence.
Le doute ayant fini de corroder ces projections, je retournais à mon obscurité infantile. 2624581118.jpg

Depuis le temps est passé, rien ne s’est éclairci. Je ne sais pas plus qu’avant quelle anagramme sociale faire de mon nom. Cependant, avec de la réflexion sur le sujet et un peu de volonté, une chose vient d’émerger de ma mélasse. J’ai compris le pourquoi de cette désespérance.
Un pourquoi trouvant ses raisons dans ma nature de rêveur égaré, d’âme condamnée à être déçue par son monde de par la beauté des contrées explorées lors de mes voyages. Avant j’étais petit, je rampais au ras du sol avec le ciel comme horizon lorsque je m’allongeais. Maintenant je suis grand, je peux voir les terres qui attendent mes pas, je dois me tenir debout.
Cet univers, je prends du plaisir et du mal à l’observer pour le comprendre. Il est insensé, dément, je l’aime et le déteste. Toutefois, je le considère totalement fourbu, fatigué par la race dont je fais partie et qui fonctionne selon des critères qui m’échappent et que je ne peux vraisemblablement réaliser. Une seule conviction s’extirpe des entrailles de mes doutes : je ne pourrai jamais le changer. Quoi que j’y fasse, quoi que je réalise, il est bien trop tard pour défaire les influences méphitiques qui enchaînent nos sociétés humaines aux démences des volontés de quelques chanceux, pourvus de pouvoirs indélicats. Une pincée d’humains sur les sept milliards que nous sommes profitent de ce monde, les autres s’y traînent en répétitions soporifiques.

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Alors, que tirer de ma condition ? Rien. Il n’y a rien à en tirer si ce n’est que je suis le seul tutélaire de mon existence au sein de ce monde déjanté qui ne voit plus son nombril tellement il est gainé du gras de ses excès de débilité et d’égoïsme. Saisir ne donne en rien les moyens d’user. C’est donc par dépit que je classe mes savoirs au rang d’acquis inutiles. Au plus, ai-je essayé, vainement la plus part du temps, de les partager avec mes proches. Enrichissons-nous mutuellement...ça ne fonctionne pas comme avec l’économie. À croire que le savoir est la monnaie des pauvres, l’argent du dépit.
Le constat reste ma seule richesse, ma fortune alambiquée. Je ne suis pas de ceux dont un fait un adjectif, un nom, un rôle, une pièce, un engrenage, une activité ou un poste. Je suis un contemplatif, un passionné sensible à la moindre vibration, au moindre son, à la plus infime variation. Je me régale de la nature et j'adore ces instants de beauté le plus souvent ignorés. Je suis le genre de personne qu’une société ne peut se lier car elle ne peut avoir d’attaches pour finalité. Dans la passion même, je mue, bouge, me déplace et reviens quand la fibre m’en dit. Alors comment pourrait-il en être autrement d’un je ne sais quoi ressemblant à une place précise sur le jeu de mon univers social ?