AVERTISSEMENT: ce texte est sur fond de prostitution. Parce qu'il en faut pour tous les goûts et que, loin du dégoût, moi j'avais envie d'en faire une fiction. Maman si jamais tu lis ce billet, j'insiste, c'est vraiment une fiction! Une passe ça coûtait pas 200 francs...

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Geneviève c’était la seule, il n’y eut qu’elle. Elle tapinait depuis 23 ans, mon chiffre préféré, celui de Jordan. Elle l’avait peint sur son van, ça m’avait tout de suite attiré. Non pas que je voulais mettre un coup à Jordan, mais son van rouge et ce 23 blanc, ça avait un certain raffinement. Avec un tel numéro, c’était forcément la meilleure, la MVP pour mes ardeurs. Toute une rangée de fourgonnettes s’enfilait le long du trottoir, les clients faisaient semblant de se balader, les joggeurs s’étiraient contre les bites de sûreté. Toute une fournée de capotes se faisait enfiler par des putes noires, les clients baisaient lentement pour en profiter, les joggeurs étiraient leurs montres au ciel pour les mater.

J’ai vu la camionnette, j’ai traversé aussi sec. 200 francs se froissaient dans ma poche, j’avais la paume moite et le slibard humide. J’en pouvais plus, ma meuf me cassait le cul avec ses histoires d’avenir et d’études. Moi, je voulais juste la tirer. Une sale histoire de fin de soirée qui n’a jamais rien donné. Tout juste ai-je réussi à la peloter. Pour le reste, elle était rude. Le besoin de décompresser m’avait poussé jusqu’à l’orée du bois. A la lisière de sa lumière, dans l'ombre argentée de Paris les putains faisaient leurs vies. Mon tam-tam vibrait près de mes envies, Sandrine m’avait laissé 8 messages pour que je la rappelle. À tous les coups, elle voulait qu’on aille au parc, il faisait soleil et elle voulait sûrement me rouler des pelles. Ce qu’elle ne comprenait pas, c’est que la pression dans mon caleçon s’accumulait avec ses jeux de langues sans mots. Ce n’était pas de la salive que je voulais, je me serais contenté d’une bise si ça l'avait été.

Geneviève était à l’avant, près du centre, le port altier et la clope en bouche pour s’entraîner. Elle était belle, elle était vieille, moi j’avais 16 ans et 200 francs. Un peu timide, j’osais pas m’approcher. Elle me fit signe, je pénétrais dans son abîme. La porte arrière s’ouvrit sur son petit bureau. La paperasse dans un coin sous forme de sopalin et un matelas tout beau et plein de l’ADN de mes rivaux. Je le fixais en me questionnant, Geneviève fit son entrée depuis l’avant. Voyant ma moue, elle me mit tout de suite à l’aise en me disant : « t’inquiètes mon beau, y a une alaise ». Geneviève était ridée, elle avait la tête bouclée, j’étais gêné et un peu bousculé. Elle me fit un grand sourire et me donna son taro. J’ai eu un soupire, j’avais pas trop, même pas assez. « Ça ira », me dit-elle d’un air sifflant entre les trous dans ses dents. « Par contre, déshabille-toi si tu veux t’y mettre et file-moi l’argent » On paie toujours avant, c’est le signe d’une prostituée expérimentée. « On est pas là pour prendre le thé ou pour jouer au tarot mon beau, y faut y'aller ». Moi j’hésitais, ça sentait fort et c’était ma première fois. Et là je parle pas de ma première fois avec une pute mais avec une femme, voire même avec un morceau de peau qui ne soit pas ma paume.
Une fois à poil, je me sentis mal. Son corps était flétri, ses seins tombaient, elle avait des tâches de vieillesse et la cicatrice d’une césarienne. Mais Geneviève c’était une impératrice de la caresse, un génie de la manipulation de pénis. Très vite, je me suis redressé et, assuré, je m'y suis mis, j'ai ramoné.
Depuis ce jour, j’ai rien connu de plus proche de l'amour et de plus tordu à part un détour. Avec elle, pas besoin de lubrifiant tout rentrait dedans. Toujours accueillante et avenante, elle était ouverte à tout et large comme seul l'est un vrai minou. Moi j’y connaissais rien, mais ça me semblait bien comme ça. Même si parfois j’avais l’impression de le faire avec un gant, de toilette ça va de soi. Il paraît que les Françaises sont froides, elle, elle était chaude, moite et elle accostait dès que les clients rechignaient. Elle devait avoir des origines étrangères, d'un pays du sud où le soleil n'est pas avare

Aussi fantastique que cela puisse paraître, Geneviève était autodidacte. Un jour, ça faisait plusieurs mois qu'on se fréquentait, elle m’a raconté comment elle y était arrivée. Son mari était bourré, il la battait, une mauvaise claque, elle a perdu sa première dent. Manque de chance, elle vendait du matériel de danse pour une boite de cons, sa première passion. Pas les cons, la danse. Sans blé pour en racheter, son patron l’a licenciée. Une dent en moins, ça le faisait pas. Puis, son mari en ayant fait le tour, il l’a foutu dehors sans aucun remords. Sans le ticket, il pouvait pas la ramener et elle commençait à être un peu périmée. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée putain.

prosti_vinc_afp220.jpg Avec le temps, on est devenus proches. Elle m’accueillait avec une bise et on se racontait nos vies avant de passer au lit.
Quand j’avais un coup de sang, je pensais à ses pieds de grue que je n’avais jamais vus et je filais jusqu’au bois de Vincennes retrouver sa camionnette. Elle me réconfortait, me caressait les cheveux et le reste. Quand je repartais, j’allais mieux. J’avais expulsé cette rage, viré de moi toute pulsion de carnage. Elle m’avait enlevé toutes mes envies de tout casser et je rentrais chez moi tout allégé. Mon portefeuille lui aussi avait maigri. Mes burnes en berne, j’étais crevé et souvent je m’endormait sur une banquette de métro. L’oubli du bien nourri, je manquais fréquemment mon arrêt et retournais en arrière.
Geneviève ne me demandait rien...enfin, à part les 200 francs tarif d’ami parce que j’étais son ptit chéri. Elle avait un faible pour moi, je lui rappelais son fils mort d’une O.D dans une boîte homo quelques années plus tôt. Suivant la voie de maman, il y faisait du rentre-dedans et avait fini par attraper des addictions. La came, les keums, trop de tout, il avait franchi des limites et n’était pas revenu du tout. Parfois, elle me montrait des photos de lui quand il était petit et que la vie lui souriait encore. Il était beau le con, trop pour finir à cause d’une addiction.

Souvent, en arrivant je la voyais lire en fumant. Les bouquins s’empilaient sur la banquette avant, les mouchoirs pleins dans la poubelle avec les lingettes pour enfants. Elle me racontait des histoires avant d’aller au plumard, me parlait de ces auteurs qui égayaient ses pauses entre deux passes. Tout y passait, elle avait lu plus de livres qu’elle n’avait connu d’hommes ivres. C’est grâce à elle que j’ai commencé à m’y intéresser et je ne la remercierai jamais assez.
Des années plus tard, j’ai rencontré la femme de mon histoire, mais, de temps en temps, je retournais la voir. Elle ne rajeunissait pas, mais j’aimais toujours ça. Sur son camion, un 34 avait remplacé le 23. J’aimais pas trop Barkley, mais bon il avait été dans la Dream Team, ça irait. Dans la confidentialité, elle restait ma Joséphine.

Aujourd’hui, Geneviève n’est plus. J’étais seul à son enterrement, on peut pas compter sur les clients pour être reconnaissants. Elle m’a laissé sa collection de bouquins et un paquet de souvenirs coquins. Sa carrière n’est pas restée sans marquer l’histoire du trottoir, elle a fini à 88 ans, la plus vieille pute de France. Le maire de Vincennes est même venu lui remettre un macaron tout rond et une place de stationnement gratuite à vie pour service rendu aux couples de sa commune. Mais vu qu’elle est morte 3 semaines après la cérémonie, ça ne lui aura pas beaucoup servi.
Sa camionnette est partie à la fourrière et moi je regarde toujours en arrière quand je vais courir le long de cette route de la honte.
Le cœur serré, je m’étire en espérant l’apercevoir à travers le hublot noir d'une fourgonnette rouge.